Hyperloop et concurrence en tubes

La Coordination CRI a passé beaucoup de temps à évaluer les nuisances des lignes à grande vitesse ferroviaire pour les riverains et impactés. Nous avons contribué, non sans mal, à faire annuler le projet de LGV Limoges-Poitiers. Pour qui a consacré des centaines d’heures à cette lutte, l’idée de création d’un moyen de transport sous tube interpelle.

Dans un tube, quelle que soit la vitesse de l’engin de transport, pas de collision avec les oiseaux, les chauves-souris, les vaches, les sangliers, ni avec les personnes suicidaires ; pas d’accident de passage à niveau avec voiture ou bus, pas de bruit ni d’effet de souffle pour l’extérieur. Indéniablement, les riverains du tube seraient beaucoup mieux lotis que les voisins des LGV. Seule l’esthétique du paysage y perdrait puisque le tube serait aérien sur l’essentiel du parcours. Il faudrait donc tenter de l’enterrer pour traverser les collines en souterrain ou de le semi enterrer sur une partie du parcours. Sous cette réserve, l’impact environnemental, agricole et humain du tube, sorte de pipe-line habité de voyageurs ou de fret, serait acceptable a priori. Dans ces conditions, même si cela peut augmenter déraisonnablement le désir de mobilité, les projets de type Hyperloop ne laissent pas indifférent.

L’intérêt se porte alors sur les sociétés commerciales dont l’objet est de réaliser un prototype sur une déclinaison des technologies de lévitation passive. Il s’agit de mettre en tube un ou plusieurs systèmes de transport par engins à sustentation magnétique afin d’éviter le frottement et donc de réduire considérablement la dépense énergétique. En 2013, l’inventeur milliardaire Elon Musk a rendu crédible cette idée, mais sans se l’accaparer : il a incité toute personne intéressée à la développer. Cinq ans après, il en résulte un jeu de concurrence entre plusieurs sociétés privées. Chacune sollicite les pouvoirs publics dans plusieurs Etats du monde (USA, Canada, Russie, Slovaquie, France, etc.) pour obtenir des subventions permettant de réaliser un prototype. Ainsi le gouvernement slovaque espère-t-il une concrétisation dès 2020 à Bratislava ; ainsi les toulousains et les limougeauds espèrent-ils avoir chacun leur prototype avant 2022. Chaque région se croyant au centre du Monde semble prête à investir sans peut-être maîtriser toutes les subtilités du droit de la propriété intellectuelle : de grandes difficultés s’annoncent pour faire valider un brevet mondial « définitif » alors que les technologies en voie de développement sont voisines.

Aujourd’hui, nous sommes peut-être au début d’une ère de transport tubulaire. On dénombre déjà au moins quatre sociétés susceptibles d’intervenir sur le territoire français :

* la dernière en date se nomme SpaceTrain (Société de droit français dont le Fondateur est Emeuric Gleizes) : elle veut mettre en tube l’aérotrain initié par l’Ingénieur Bertin, tout en modernisant les matériaux à utiliser.

* Les trois autres sociétés sont adossées au concept d’Hyperloop à partir du projet initié par Elon Musk; avec capsules circulant dans des tubes en acier à basse pression. Ce sont :

- TransPod : cette société de droit canadien a séduit les élus de Limoges et de la Communauté d’Agglomération de Limoges. Elle a annoncé la clôture d’une première levée de fonds de 15 millions USD auprès d’Angelo Investments. Cela rend crédibles ses autres demandes de subventions et prêts. Elle propose un prototype à tester sur quelques kilomètres au nord du Département de la Haute-Vienne.

- Hyperloop Transportation Technologies (HTT) : cette société de droit américain a séduit les élus d’Occitanie et de Toulouse Métropole, ainsi que l’Etat français, ce qui lui permet d'installer à Toulouse-Francazal son centre de recherche et de développement, ainsi qu’une piste d'essai. La communication de cette société valorise Toulouse-Francazal qui « devient ainsi le troisième pilier, avec la Californie et l'Ontario canadien, des recherches sur le déplacement à très grande vitesse (entre 1 000 km/h et 1 200 km/h) de capsules dans des tubes à basse pression utilisant l'énergie électromagnétique ».

- Hyperloop One, société de droit américain : c’est elle qui a réalisé avec succès un premier test, semble-t-il concluant, dans le Désert du Nevada. Elle a été la première à capter l’intérêt de la communauté ferroviaire. Elle semble avoir pris pied en Europe de l’Est, là aussi pour tester le projet Hyperloop.

On le voit, la concurrence fait rage ; mais c’est une concurrence débridée qui semble peu raisonnable : a-t-on besoin de tant de prototypes alors que l’élaboration d’un seul coûte fort cher ? Chaque société veut évidemment tirer son épingle du jeu et obtenir les droits de propriété industrielle (brevets et marques) sur le procédé qui, peut-être, sera finalement exploité commercialement. Cela fait songer à ce qui s’est passé à l’aube du transport ferroviaire : en France, entre 1845 et 1870 ont existé de nombreuses compagnies ferroviaires qui, bientôt, firent faillite. Il resta six sociétés de chemins de fer avant une unification par création de la SNCF le 1er janvier 1938.

 

Aujourd’hui, les investisseurs publics doivent soigneusement prendre la mesure des risques financiers liés à ce désordre dans la promotion d’un projet a priori intéressant. Le projet ne doit pas devenir une pompe à subventions pour un résultat certes ludique (chaque prototype serait un joujou régional) mais d’autant plus aléatoire que la concurrence est forte. L’écueil pour tout personnel politique est de se croire au centre du monde alors que, de toutes parts, les projets jaillissent et prétendent placer en pointe telle ou telle ville ou région.

 

N’est-il pas possible de concevoir une plate-forme commune à toutes ces sociétés « hypersubventionnivores » ? N’est-il pas possible de créer une structure sociale d’harmonisation ? Si les aides publiques à de tels projets étaient conditionnées par l’exigence de création préalable d’un groupement d’intérêt économique ou autre structure à finalité de lissage des tentatives dispersées, l’argent public ne serait-il pas mieux utilisé ?

.Marcel Bayle, Professeur à l’Université de Limoges, le 15 mars 2018.