La Coordination CRI, le Collectif poitevin Non à la LGV Poitiers-Limoges, et les élus présents ou représentés à la réunion du 2 juin 2016 au Secrétariat d’Etat aux transports à

Monsieur le Secrétaire d’Etat aux transports

Paris, le 2 juin 2016

Objet : conséquences de l’annulation de la Déclaration d’Utilité Publique du projet de LGV Poitiers-Limoges

Monsieur le Secrétaire d’Etat,

Nous vous remercions de la rencontre avec vos conseillers au sujet du projet cité en référence dont la Déclaration d’Utilité Publique a été annulée en Conseil d’Etat.

La réunion de ce 2 juin 2016, dont nous vous proposons le présent PV, était placée sous le signe des crues exceptionnelles : Madame le Maire d’Iteuil a rappelé que le point de raccordement de la LGV se serait fait sur sa commune en zone inondable si la DUP n’avait pas été annulée. Prévoir un aménagement linéaire de pur prestige en zone dangereuse n’est-il pas l’inverse exact de l’humilité nécessaire en matière d’aménagement du territoire ?

Après cette annulation, nous vous demandons de bien vouloir faire en sorte que les crédits d’Etat prévus pour la LGV soient intégralement reportés sur la ligne POLT et sur les lignes Intercités et TER des anciennes régions Limousin et Poitou-Charentes. Nous déplorons la disparition du TGV Limoges-Lille, ce qui montre que nous ne sommes pas par principe opposés à ce type de transport ferroviaire. En revanche quand un projet de LGV est monté de manière aussi destructrice pour les lignes structurantes et pour les zones traversées, nous sommes déterminés, et nous l’avons montré, à utiliser tous les moyens légaux pour y faire barrage. L’un de vos conseillers nous a demandé de quels crédits nous parlions. Nous avons répondu par une question : l’Etat n’avait-il prévu aucun crédit pour ce projet de LGV ? Si oui, ce serait une information. Votre conseiller nous a donc dit qu’il parlait des 42 millions d’euros prévus au CPER avec l’ancienne région Limousin pour réaliser les études d’avant-projet définitif. Nous nous permettons de vous faire observer que si l’Etat n’avait rien prévu de plus qu’une part de ces 42 millions, on était bien loin des deux milliards que coûterait cette LGV à voie unique. Mais peut-être avons-nous mal compris ?

Certains médias affirment que l’Etat pourrait relancer ce projet. Vos conseillers nous ont confirmé cette éventualité, tout en précisant que rien n’est décidé, que l’arrêt du Conseil d’Etat sera respecté mais que l’Etat prendra une décision. Notre délégation d’associations et d’élus a analysé la portée de l’annulation de la DUP de la LGV. Nous souhaitons que toutes les conséquences de cette annulation soient tirées afin que de ce projet ne subsiste rien. En effet, l’un des motifs d’annulation de la DUP est le temps trop long pendant lequel les communes, les riverains et les impactés devraient subir la paralysie de leurs biens immobiliers et, pour les personnes physiques, de leurs projets professionnels ou familiaux. Elles subissent cela depuis de longues années déjà : la relance du projet à partir des mêmes études de faisabilité constituerait une torture démesurément prolongée. De plus, après l’annulation de la DUP, une relance du projet ne pourrait aboutir que lorsque les motifs d’annulation auraient disparu. Cela supposerait notamment que l’Etat finance l’essentiel des deux milliards d’euros pour cette voie unique (sauf à concevoir une voie double, ce qui renchérirait le coût) puisque l’UE estime évidemment que ce projet n’est pas d’intérêt communautaire. On voit mal comment le nouveau projet pourrait être réalisé avant une vingtaine d’années. Vingt ans de plus d’incertitude pour les commune traversées et pour les riverains et impactés : cela entraînerait un nouveau contentieux, en responsabilité de l’Etat cette fois, puis en annulation de la nouvelle DUP, contentieux que nous aurions de bonnes chances de gagner à nouveau. Bien entendu, nous aimerions ne pas avoir à engager ces nouvelles actions en justice.

Parmi les éventualités, M. Jean Mallot a évoqué la solution de la validation législative du projet de LGV Poitiers-Limoges. Marcel Bayle a aussitôt fait remarquer que députés et sénateurs, connaissant désormais le contenu de l’arrêt du Conseil d’Etat annulant la DUP, ne seraient probablement pas prêts à se fourvoyer dans ce qui passerait pour un désaveu à l’égard du Conseil d’Etat. De plus cela supposerait le dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi, sauf à passer par un amendement au détour d’un texte qui n’aurait rien à voir avec ce sujet. Le Conseil Constitutionnel cette fois ne manquerait pas sanctionner cette pratique du « cavalier législatif ». Faut-il rappeler que l’article 45 de la Constitution précise que les amendements parlementaires doivent avoir un lien, au moins indirect, avec le texte en discussion en première lecture devant les deux assemblées parlementaires ? En toute hypothèse on voit mal une validation législative avant la fin du quinquennat. Si tel était le cas, ce serait bien pire que l’utilisation critiquée du 49-3. Cela ne manquerait pas de déclencher de très vives réactions dont personne ne peut mesurer l’aboutissement.

Pour l’ensemble de notre délégation, la situation actuelle est la suivante :

- Est nul le décret de Déclaration d’Utilité Publique de la LGV Poitiers-Limoges, décret du 10 janvier 2015. Il constituait la base légale des actes faits en vue de la réalisation de cette ligne ferroviaire. Cette base légale étant supprimée rétroactivement, l’ensemble du processus, fondé sur l’utilité publique, avant et après cette date, est nul et non avenu.

Conséquences sur les actes faits avant le 10 janvier 2015 :

- La grande enquête publique de 2013 est nulle parce qu’irrégulière. M. Baptiste Maurand nous l’a confirmé. Le Conseil d’Etat a relevé (parmi les irrégularités que les requérants avait dénoncées) l’absence d’information fiable donnée aux citoyens lors de cette enquête publique qui consistait précisément à recueillir leurs avis. Le Conseil d’Etat a écrit : « l’insuffisance dont se trouve ainsi entachée l’évaluation économique et sociale a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; le décret attaqué a ainsi été adopté dans des conditions irrégulières ». Cette formulation est une manière d’affranchir les citoyens favorables à la LGV qui se sont laissé abuser par le dossier énorme bien que lacunaire qui leur était soumis en 2013. C’est aussi une façon de dédouaner les signataires du décret annulé (Premier ministre et plusieurs ministres) : tous ont pu être trompés par le contenu insuffisant et erroné du dossier préparé par la Société RFF (aujourd’hui SNCF réseau). L’irrégularité de ce montage est la principale cause d’annulation de la DUP de la LGV. Si un jour le personnel politique demandait une nouvelle Déclaration d’Utilité Publique de LGV Limoges- Poitiers, il faudrait soumettre aux citoyens un plan de financement précis et crédible, des mesures de protection de l’environnement naturel qui soient efficaces, des garanties réelles pour les agriculteurs (notamment en matière de rétablissements durable des points d’eau), une autre gestion de l’habitat humain et un tracé hors zone inondable.

- Les défectuosités du dossier d’enquête publique, tel que ce dossier a été globalement conçu par RFF, sont peut-être de nature à engager la responsabilité civile de SNCF Réseau à l’égard des collectivités territoriales qui ont engagé d’importants financements dans cette affaire douteuse. Il sera intéressant d’approfondir cette question dont chaque citoyen peut s’emparer en tant que contribuable. RFF n’a-t- il pas fait miroiter, pour certains décideurs, une faisabilité de cette LGV contre toute vraisemblance ? Le Conseil d’Etat, en relevant « l’insuffisance dont se trouve ainsi entachée l’évaluation économique et sociale », ne fait-il pas apparaître une lacune fautive ? Si faute il y a eu, des responsabilités ne doivent-elles pas être recherchées ? La Coordination CRI, auteur de ce questionnement, et toutes les associations et collectivités reçues par vos conseillers, seront attentives aux éléments de réponse qui se dégageront progressivement.

- Conséquences sur les actes faits depuis le 10 janvier 2015 : nous vous demandons ; Monsieur le Secrétaire d’Etat, de bien vouloir inviter les préfets de Haute-Vienne et de Vienne à abroger les arrêtés qu’ils avaient pris en matière de mise en compatibilité des PLU, en matière d’AFAF,  et en matière de passage sur les propriétés privées.

- La mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes impactées est en effet elle-même nulle. Les zones « réservées » au passage de la LGV doivent retrouver leur classement antérieur, qu’il s’agisse de zones initialement constructibles, devenues inconstructibles en raison du projet de LGV, ou de zones naturelles et forestières ou de zones agricoles. Les documents d’urbanisme doivent donc, dans les meilleurs délais, être expurgés du tracé de la LGV et de ses zones réservées. Les arrêtés préfectoraux qui ont formalisé cette mise en compatibilité doivent être abrogés. Par exemple, sur la seule Commune d’Iteuil, 44ha sont gelés en zone réservée à la LGV fantôme alors que cette commune doit finaliser son PLU avant la fin de ce mois de juin et que le passage en PLUI est imminent. Pour détendre les participants à cette réunion, M. Jean Mallot a lancé une boutade : les châteaux hantés écossais attirent les touristes. Le problème est que nous n’avons pas le cœur à rire : lorsqu’on se trouve sous le glaive des expropriations, du déménagement de nos territoires, et du gel de nos terres, la question est traumatisante. Nous demandons que vos services sensibilisent les préfets à l’absolue nécessité d’expurger les PLU des zones réservées à une LGV qui n’est pas d’intérêt public. Nous souhaitons que cette régularisation ait lieu très rapidement, dès ce mois de juin 2016. M. Jean Mallot nous a fait remarquer qu’il convient toutefois de « protéger l’avenir ». De quel avenir parle-t-on ? De l’avenir politique de quelques « grands » élus hors sol et désargentés, ou de l’avenir de nos territoires et de leurs habitants ? L’aménagement du territoire, principal sujet de notre réunion, doit se faire de manière réaliste et respectueuse des parties prenantes.

- Le processus de remembrement lié à la LGV (AFAF) est nul lui aussi puisqu’il se fondait sur une DUP annulée. Neuf enquêtes publiques, ouvertes à l’automne 2015, ont eu lieu uniquement en Haute-Vienne sur les communes impactées par le projet de LGV. Ces enquêtes publiques sont nulles. Donc les réserves foncières constituées à l’initiative du département de Haute-Vienne sont sans fondement. On note que le Département de la Vienne a attendu l’issue du contentieux en Conseil d’Etat sans mettre en œuvre le remembrement. Le zèle de la Haute-Vienne paraît aujourd’hui très décalé de ce qui était raisonnablement envisageable.

- Des arrêtés préfectoraux ont été pris pour autoriser le passage sur les propriétés privées, agricoles, forestières et à usage strictement privé, au profit des bureaux d’études et entreprises de forage. Ces arrêtés dérogatoires à la protection de la propriété privée ne se justifient plus après annulation de la DUP : leur légalité était conditionnée par le caractère d’intérêt public du projet de LGV, intérêt public qui a disparu. Ces arrêtés caducs doivent être abrogés dans les meilleurs délais. A défaut, nous inviterons les propriétaires à la vigilance et à exclure de chez eux toute personne qui pénétrerait sur leurs terrains en se fondant sur ces actes réglementaire désormais périmés.

- Pour les propriétaires impactés : la Coordination CRI leur avait conseillé de mettre en demeure SNCF Réseau d’acheter leur propriété. Beaucoup l’ont fait et SNCF réseau avait un délai pour répondre. Ce délai n’est pas encore écoulé. En toute logique la réponse devrait être maintenant un refus définitif d’acheter. Nous vous demandons, Monsieur le Secrétaire d’Etat, de bien vouloir nous en donner confirmation ou de demander à SNCF Réseau de nous informer officiellement de ses intentions. Dès que les documents d’urbanisme auront été rectifiés, les propriétaires et locataires des parcelles un temps impactées pourront dormir enfin tranquilles, après de nombreuses années peuplées de cauchemars.

Concernant le POLT, auquel nous tenons beaucoup, nous avons bien noté que l’Etat a repris la main, tant sur l’infrastructure que sur le service, ce que nous a indiqué M. Patrice Saint-Blancard. L’annulation de la DUP renforce la responsabilité du gouvernement à l’égard de cette ligne qui dessert 4 régions et irrigue un quart des départements de notre pays, nous aimerions que vous nous confirmiez que cette ligne est tenue pour structurante et continuera de desservir l’ensemble des gares comprises entre Paris et Toulouse. En effet, la SNCF a envisagé, un temps, de limiter la desserte aux gares situées entre Paris et Brive. Cette coupure à Brive n’est pas acceptable. Nous pensons que désormais l’Etat doit accélérer la modernisation de cet axe aussi bien pour les infrastructures que pour le nouveau matériel roulant qui devrait pouvoir être mis en service dès 2020. M. Patrice Saint-Blancard a évoqué 2025, ce qui nous paraît tardif. En revanche, nous saluons les efforts de l’Etat et des autres structures qui ont financé l’agrandissement spectaculaire et opportun de la Gare d’Austerlitz. Utilisons cette gare plutôt que de détourner le trafic ferroviaire sur la gare Montparnasse. Cette dernière est au bord de la saturation. Le projet de LGV Limoges-Poitiers y aurait dirigé de nouveaux flux de voyageurs cependant que la Gare d’Austerlitz, juste rénovée et agrandie, aurait perdu l’essentiel de son trafic.

Concernant la ligne TER Poitiers-Limoges, même si les compétences sont dévolues aujourd’hui à la région ALPC, plusieurs éléments pourraient être soutenus par votre ministère. Tout d’abord pousser cette région à organiser enfin un comité de ligne afin de remettre à plat la question des horaires et des dessertes sur cette ligne. Ensuite, la question de la mise en place de trajets directs entre Limoges et Poitiers n’a jamais été posée dans le cadre de ce dossier. Sa mise en place aurait sans doute un intérêt majeur dans le désenclavement de Limoges et son accès à la grande vitesse. Un projet de ce type, qui nécessiterait des travaux pour permettre le croisement à Bellac et sans doute une électrification de la ligne sont typiquement des travaux qui pourraient être réalisés dans le cadre d’un classement de ces liens directs en Intercités, ce qui permettrait à l’Etat de reprendre la main également sur ce dossier.

Nous nous permettons enfin d’attirer votre attention sur la corrélation entre projet LGV et projets d’infrastructures routières. Le tracé des routes et la structure des carrefours ne doivent plus être dépendants du tracé d’une LGV dont la DUP est nulle. Cette corrélation entraînait des zigzags notamment pour la RN 147 en projet de mise à deux fois deux voies. Les « Lunettes de Grossereix », important carrefour des voies d’accès au nord de Limoges, devenaient impossibles à redessiner et à concevoir à cause du tracé de la LGV hypothétique (qui passait par là aussi). Il convient de reprendre les études de ces aménagements routiers expurgés des interférences du projet de LGV qui a perdu son caractère d’intérêt public. Du point de vue de la CRI, la mise à deux fois deux voies n’est pas systématiquement indispensable sur cette RN 147 : l’aménagement de créneaux de dépassements dans les zones dangereuses suffirait. Du point de vue de tous les participants à notre réunion du 2 juin, il serait totalement déraisonnable de faire arriver une deux fois deux voies à Limoges avant que les diffuseurs d’entrée dans cette ville soient adaptés au flux que la RN 147 réaménagée y dirigerait. Pour ménager l’avenir, évitons de pré-constituer les bouchons.

En espérant connaître très rapidement les décisions qu’envisage de prendre l’Etat, nous vous prions, Monsieur le Secrétaire d’Etat, de croire en nos sentiments dévoués à l’intérêt public.

Pour la Coordination CRI, Marcel Bayle (président en exercice), Stéphane Lafaye et Yvan Tricart.

Pour le Collectif poitevin Non à la LGV, Nicolas Bourmeyster (président en exercice) et Alain Massonneau

Les élus associés à cette démarche :

Claude Compain, Maire de Peyrilhac (représenté à cette réunion par Marcel Bayle, conseiller municipal), Francis Gargouil, maire de Château-Larcher, Etienne Lejeune, 1er Adjoint au maire de La Souterraine, Françoise Micault, maire d’Iteuil, Patrick Pichon, conseiller départemental de Vienne, M. Dominique Tourres, VP de la Communauté d’agglomération de Châteauroux, représentant cette communauté et M. le maire de Châteauroux, Michel Vergnier, Député-Maire de Guéret,