mercredi 23 mars 2016

Comme annoncé sur le site du Conseil d’Etat, le rapporteur public a demandé à ce que la Déclaration d’Utilité Publique(DUP) de la LGV Limoges-Poitiers soit annulée par la formation de jugement de la Haute Juridiction Administrative. Il ne s’agit là que d’un avis : la formation de jugement peut décider le contraire.

Toutefois, l’affaire se présente bien pour les opposants dont la CRI a été l’un des stimulants.

Les chiffres que nous avions annoncés sont validés par le haut magistrat qui a rédigé le rapport.

Il indique :

 

  • que le coût total de la LGV serait de deux milliards deux cents millions d’euros (2200 millions) si elle était construite en 2019.

  • Qu’elle aurait un effet terrible sur la ligne classique POLT qui risquerait de disparaître ou n’aurait qu’un trafic très réduit annonçant sa disparition prochaine.

  • Que les dégâts humains seraient eux-mêmes très forts notamment en termes d’incertitude pour les riverains et impactés dont les terrains et bâtiments seraient gelés longtemps. Des expropriations et réserves foncières inutiles coùteraient à SNCF Réseau des sommes importantes à répercuter sur les collectivités territoriales (c’est déjà le cas en Haute-Vienne).

  • Que l’environnement naturel, malgré les « compensations », serait dégradé de manière significative.

  • Il indique aussi, parmi de nombreux autres arguments (trop longs à développer ici), que le département de la Creuse avait intérêt pour agir en annulation puisqu’il est dans la prétendue zone de chalandise (passagers potentiels de la LGV projetée) selon SNCF Réseau.

En clair, j’ai l’impression que les promoteurs de la LGV ont tellement affirmé de contre-vérités que cela a suscité la méfiance du rapporteur qui invite les juges à partager avec lui cette méfiance : méfiance sur les délais de réalisation, sur le financement, sur le nombre de passagers, sur le coût des billets de TGV …
La sous-évaluation du prix et de la rentabilité de cette ligne à grande vitesse dans l’enquête publique a faussé l’information due aux citoyens. Le rapporteur invite aussi le CE à prendre en compte le coût lié à la rareté relative de l’argent public et le coût de la prise de risques.

Techniquement, le rapporteur public invite le CE à annuler sur le fondement de deux éléments :

  • Classiquement, le CE doit évaluer le bilan coût avantage (c’est-à-dire comparer les avantages et les inconvénients du projet) pour en déduire si le projet est d’intérêt général ou pas. Le rapporteur estime que les inconvénients de ce projet précis sont disproportionnés c’est-à-dire très supérieurs aux avantages. Donc ce bilan négatif devrait entraîner l’annulation de la DUP.

  • Lors de l’enquête publique de 2013 les chiffres annoncés dans le volumineux dossier soumis au public n’étaient pas fiables, ce qui a faussé l’information due aux citoyens. C’est aussi un motif d’annulation de la DUP.

Pour autant le CE peut choisir de n’effectuer qu’un contrôle très léger sur ce dossier. C’est généralement le cas dans des affaires de ce genre (le CE ne cherche pas à savoir si les affirmations des promoteurs sont crédibles ou non, sauf erreur manifeste de l’autorité qui a signé la DUP) et cela explique que la plupart des recours contre les DUP sont rejetés. Cela valide évidemment les DUP attaquées. Aujourd’hui, dans l’affaire de la LGV LP, le rapporteur invite les hauts magistrats à modifier leur jurisprudence en accroissant leur contrôle sur les DUP des grands projets d’infrastructures. Il suggère (mais c’est moi qui l’exprime ainsi) que lorsque les ficelles sont trop grosses, les juges doivent les voir. On espère donc qu’un contrôle plus approfondi sera appliqué dans ce dossier ; toutefois on comprend que ce n’est pas gagné, même si l’énormité de certaines affirmations de SNCF Réseau invite à censurer l’erreur manifeste d’appréciation du gouvernement qui a pris cette DUP. Mais le rapporteur n’a pas employé l’expression d’erreur manifeste.

Il a cependant porté ce qui pourrait être l’estocade en mettant en évidence la dispute des frères ennemis (mais là aussi c’est moi qui le formule ainsi) : SNCF Mobilité reproche à SNCF Réseau (anciennement RFF) l’absence de fiabilité de ses chiffres, notamment en termes de nombre de passagers prévus pour cette LGV. Il faut dire que SNCF mobilité (qui fait circuler les trains) est échaudée par ce qui se passe sur la LGV Tours-Bordeaux où le problème se pose alors que la ligne doit entrer en service en 2017 … A l’Est de la France, d’autres infrastructures de transport ferroviaire révèlent que leur rentabilité avait été surévaluée.

Ces errements montrent que l’intérêt général commande d’annuler cette DUP mal fondée ; mais les juges n’y sont pas obligés. A suivre donc (on espère avoir l’arrêt du CE d’ici à quinze jours ou un mois, mais il n’y a pas de délai légal).


Pour la CRI,

Marcel Bayle